Travail détaché : ne nous trompons pas de combat
La directive européenne qui régit le travail détaché devrait être prochainement modifiée, notamment parce que ce statut est accusé de favoriser le dumping social. Mais le fond du problème est tout autre : plutôt que de combattre le travail détaché, il faut concentrer et augmenter les moyens pour lutter contre la fraude au détachement, véritable responsable d’une concurrence déloyale.
Adoptée en 1996, puis modifiée en 2006, la « directive Bolkestein » définit la législation sur le marché des services au sein de l’Union européenne. Elle régit notamment le statut des travailleurs détachés, lequel suscite la polémique depuis de nombreuses années au sein des pays membres. Accusé d’entretenir et de favoriser le dumping social, le travail détaché cristallise en effet le rejet de l’Europe dans l’opinion française notamment.
Sous la pression de plusieurs pays, dont la France qui en a fait un sujet majeur, le statut des travailleurs détachés est en passe d’être modifié par le Parlement européen, après un accord conclu entre les ministres du travail de l’Union Européenne le 23 octobre dernier.
Le travail détaché est aussi un vecteur de progrès
S’il est entendu que le statut des travailleurs détachés doit évoluer, pour assurer une meilleure protection des travailleurs et lutter contre le dumping social, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès et la caricature à ce propos.
Car le travail détaché répond à une idée fondatrice du pacte européen : la libre circulation des biens et des personnes sur le territoire des pays membres.
Et, c’est un fait, cette libre circulation des biens et des personnes s’est trouvée favorisée par l’application de la directive Bolkestein.
Les chiffres sont d’ailleurs-là pour le prouver ! Si on évoque très souvent la présence de nombreux travailleurs détachés dans l’Hexagone, en stigmatisant leur présence comme une menace pour l’emploi de travailleurs français, on oublie de dire que la France est aussi l’un des pays qui exporte le plus de travailleurs détachés au sein de l’Union européenne. C’est également le cas de l’Allemagne, principal pays de destination des travailleurs détachés en Europe.
Voilà pourquoi il ne faut pas se tromper de combat au moment où les pays membres tentent de trouver un accord pour modifier la directive sur les travailleurs détachés.
Les véritables problèmes : la fraude et la concurrence déloyale
Le vrai problème n’est donc pas le travail détaché en lui-même. La principale raison du rejet de ce statut par l’opinion, c’est la fraude et la concurrence déloyale qui en découle.
Chaque jour plus importante, c’est la fraude aux cotisations sociales qui trahit l’esprit européen, en favorisant la course au moins-disant social et à la concurrence déloyale.
La lutte contre la fraude aux prestations transnationales est devenue une priorité gouvernementale. La France a d’ailleurs récemment élargi son arsenal juridique en conséquence, et renforcé les sanctions qui en découlent, en ayant l’intention, notamment, de responsabiliser davantage les donneurs d’ordres et maîtres d’ouvrage vis-à-vis des co-contractants étrangers.
À l’instar de la mobilisation contre l’évasion fiscale, il semble nécessaire de profiter du débat actuel pour faire en sorte que cette bataille soit désormais partagée par tous les pays membres de l’Union européenne.
La compliance, enjeu majeur des prochaines années
Car, au-delà des problématiques soulevées par une révision du statut des travailleurs détachés, et donc par des contrôles accrus pour lutter contre ses dérives, l’enjeu majeur des prochaines années pour les entreprises, en France comme en Europe, c’est la conformité réglementaire étendue à leurs fournisseurs et sous-traitants.
Quels que soient les domaines économiques visés, la conformité dans son ensemble va devoir être appréhendée et maitrisée par les entreprises et leurs administrateurs. Ainsi que les enjeux qui en résultent : les risques de sanctions et d’image.
Qu’il s’agisse de la lutte contre la corruption (loi Sapin II), de la protection des données à caractère personnel (RGPD), de la cybersécurité, etc. la question de la vigilance étendue des entreprises se pose.
Tout comme se posera, pour les dirigeants d’entreprise et les investisseurs, la question des conséquences économiques en cas de non-respect des lois et des réglementations liées à la conformité réglementaire.
Trop souvent vue comme une contrainte, la compliance, qui associe conformité et conformation, doit au contraire être pensée comme une opportunité stratégique de développement pour les entreprises.
Abordée ainsi, la compliance permettra aux acteurs économiques d’en tirer profit pour en faire un avantage social, économique et sociétal.