Probité, anticorruption et commande publique : quels impacts pour les acheteurs publics ?
La loi Sapin 2 a pour objectif de porter la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux.
La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique[1] (dite « loi Sapin 2 ») a pour objectif de porter la législation française au niveau des meilleurs standards européens et internationaux en matière de lutte contre la corruption.
Pour atteindre cet objectif, la loi Sapin 2 a, notamment, créé l’Agence française anticorruption (AFA), a renforcé le régime de protection des lanceurs d’alerte, a instauré un répertoire public des représentants d’intérêts et a imposé la mise en place d’un programme de mise en conformité afin de prévenir et détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence en France ou à l’étranger.
Cette obligation de compliance (en français lutte contre la corruption) s’impose aux entreprises privées et aux établissements publics industriel et commercial (EPIC) de plus de 500 salariés et avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère (ayant son siège social en France) avec un effectif de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros.
Par conséquence, cette obligation concerne directement certains acheteurs publics ayant le statut d’entreprises privées (ex.: SNCF, La Poste, ADP …) et certains EPIC (ex. : Société du Grand Paris, UGAP, RATP …).
En pratique, l’article 17.2 de la loi Sapin 2 définit un référentiel de 8 mesures et procédures à mettre en place dans le cadre du programme de gestion des risques et de mise en conformité.
Pour éclairer les entreprises privées et les EPIC, l’AFA a publié ses recommandations en décembre 2017[2] afin d’accompagner la mise en œuvre opérationnelle de ces mesures et procédures, recommandations qui sont « dépourvues de force obligatoire et ne créent pas d’obligation juridique ». En effet, comme précisé par Charles Duchaine, directeur de l’AFA, « Il s’agit donc d’un mode d’emploi de la loi. Loi dont les dispositions ont, elles un caractère obligatoire »[3].
Pour les autres acheteurs publics (Etat, collectivités territoriales, établissements publics et sociétés d’économie mixte des collectivités territoriales, associations et fondations reconnues d’utilité publique), l’article 3.3 de la loi Sapin 2 précise que ces derniers doivent adopter des procédures « pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme » sans définir un référentiel comme pour les entreprises privées et les EPIC.
Toutefois, dans la charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles[4], l’AFA vient préciser que « par analogie avec ce que la loi prévoit pour les acteurs économiques, il est attendu des dirigeants des acteurs publics et des associations et fondateurs reconnues d’utilité publique qu’ils mettent en place un dispositif anticorruption permettant de connaitre les risques et atteintes à la probité propres à leur organisation et de prévenir, détecter et sanctionner les dites atteintes » puis cette charte fait référence au référentiel visé à l’article 17.2 de la loi Sapin 2.
En décembre 2020[5], l’AFA a publié une mise à jour de ses recommandations comprenant désormais trois « parties » : des dispositions générales, une déclinaison pour les entreprises assujetties à l’article 17 (entreprises privées et EPIC) et une déclinaison pour les acteurs publics assujettis à l’article 3.3 (Etat, collectivités …).
Ces nouvelles recommandations annulent et remplacent celles de décembre 2017[6]. Ainsi, au regard de ces éléments, tous les acheteurs publics (y compris l’Etat, les collectivités …) doivent intégrer les nouvelles recommandations de l’AFA dans leur programme anticorruption en appliquant la bonne déclinaison.
Dans le présent article, l’idée est de présenter un panorama des 8 mesures et procédures prévues par la loi avec un focus sur les impacts sur la pratique des acheteurs publics. Pour plus de précisions, il est possible de se référer aux recommandations de l’AFA et au guide « maitriser le risque de corruption dans le cycle de l’achat public » de la DAE[7].
1. La création d’un code de conduite
L’article 17.2.1 de la loi Sapin 2 prévoit la création d’un code de conduite « définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ».
Selon le paragraphe 157 des recommandations de l’AFA, le code de conduite est un document qui « manifeste la décision de l’instance dirigeante d’engager l’entreprise dans une démarche de prévention et de détection des faits de corruption. Il recueille les engagements et principes de l’entreprise en la matière. Il définit et illustre les différents types de comportement à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ». Elles précisent ensuite que le code de conduite doit s’appuyer sur la cartographie des risques « dans la mesure où il décrit les comportements à proscrire à partir des risques identifiés ».
Le code de conduite est applicable à tous les collaborateurs de l’entité et est intégré au règlement intérieur lorsque ce dernier est obligatoire. Aussi, le code est donc applicable aux acheteurs publics (au sens personnes physiques) et certaines de ces dispositions les concernent directement dans leurs fonctions :
– Les différentes valeurs à respecter dans le cadre des relations avec les fournisseurs (confidentialité des données communiquées), impartialité (dans l’analyse des offres), respect des principes du code de la commande publique ;
– Les différentes infractions pénales (délit de favoritisme, corruption passive …) accompagnées d’exemples applicables à la commande publique ;
– Le comportement à adopter dans le cadre des relations avec les fournisseurs pendant le sourcing, des salons professionnels, des déjeuners d’affaires ;
– La prévention des conflits d’intérêts avec des exemples concrets ;
– L’existence d’un dispositif de lanceur d’alertes.
Les recommandations de l’AFA précisent également que « s’agissant des tiers, le code de conduite peut utilement leur être communiqué, sous réserve d’adaptations rendues nécessaires pour protéger les éventuelles informations confidentielles qu’il contient. Il est recommandé d’imposer aux tiers le respect de ce document, par une clause contractuelle ». A titre d’exemple, l’UGAP particulièrement concernée dans son rôle de centrale d’achats a diffusé une charte de déontologie ayant pour objet de porter à la connaissance des parties prenantes, notamment, les principes et les règles du code de conduite[8].
En pratique, le code de conduite peut un des éléments introductifs dans le cadre du sourcing, peut être un document communiqué aux candidats potentiels dans le règlement de consultation et/ou encore une stipulation contractuelle dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP).
Pour les autres acheteurs publics (Etat, collectivités …), les recommandations de l’AFA préconisent également la mise en place d’un code de conduite qui peut être intégré dans un dispositif plus large de type charte éthique[9]. Plus précisément, l’AFA rappelle, notamment, que le code doit être rédigé ou mise à jour postérieurement à l’élaboration de la cartographie des risques, qu’il ne doit pas se limiter à un recueil des bonnes pratiques, doit préciser les modalités de mise en œuvre des obligations déontologiques applicables aux personnels et aux dirigeants et traiter des cadeaux, invitations, des conflits d’intérêts ou encore des frais de représentation.
Enfin, le code de conduite doit présenter le dispositif d’alerte interne destiné à recueillir les signalements relatifs à l’existence de comportements ou de situations contraire au code de conduite.
2. Le recours au dispositif de lanceur d’alerte
L’article 17.2.2 de la loi Sapin 2 prévoit un dispositif d’alerte interne « destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ».
Le paragraphe 252 des recommandations de l’AFA vient préciser cette définition en introduisant la notion de « référent dédié ». Dans le strict respect de la confidentialité, le recours au dispositif de lanceur d’alerte déclenche une enquête interne (menée par des personnes qualifiées et désignées par l’instance dirigeante) qui débouche sur la rédaction d’un rapport d’enquête visant à établir ou à lever le soupçon signalé.
Lorsque le soupçon est suffisamment étayé, le rapport est transmis à l’instance dirigeante ou, le cas échéant, à l’organe de contrôle lorsque l’instance dirigeante est mise en cause afin qu’elle décide de suite à donner. Les suites peuvent être des sanctions disciplinaires prévues par le code de conduite et/ou une action judiciaire suite au dépôt d’une plainte ou encore un signalement au procureur de la République dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale.
En pratique, l’acheteur public peut donc être amené à découvrir des délits dans le cadre de ses fonctions (corruption passive, corruption active, prise illégale d’intérêts …) mais il peut également être signalé par une relation de travail (collègue, stagiaire, apprenti, collaborateur extérieur, collaborateur occasionnel …) car n’ayant pas potentiellement respecté le code de conduite et/ou ayant commis une infraction dans le cadre de ces fonctions.
Pour les autres acheteurs publics (Etat, collectivités …), les recommandations de l’AFA[10] rappellent la liste des entités publiques pour lesquelles la mise en place d’un tel dispositif d’alerte interne est obligatoire en application de l’article 8.3 de la loi Sapin 2 puis précisent, pour les entités publiques non soumises à cette obligation légale, les modalités du fonctionnement du dispositif.
Ce dispositif d’alerte interne doit également être présenté plus précisément aux personnels et aux cadres dans le cadre des formations.
3. Mise en place d’un dispositif de formation destiné aux personnels les plus exposés au risque de corruption et au trafic d’influence
L’article 17.2.6 prévoit qu’un « dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence » doit être mis en place.
Les paragraphes 179 et suivants des recommandations de l’AFA viennent préciser que « le dispositif de formation anticorruption s’adresse donc à l’ensemble des cadres, en tant que personnels chargés d’un certain niveau de responsabilité dans l’entreprise, ainsi qu’aux membres du personnel de l’entreprise considérés comme les plus exposés aux risques de corruption ».
Ainsi, pour les cadres et personnels les plus exposés, une formation dédiée devra être mise en œuvre comme l’indique l’AFA dans ces recommandations[11]. Cette formation a pour objectif de limiter les risques identifiés dans la cartographie des risques en améliorant la compréhension et la connaissance, notamment, sur :
– les processus et les risques induits ;
– les infractions d’atteinte à la probité ;
– des diligences à accomplir et des mesures à appliquer pour réduire ces risques ;
– des comportements à adopter face à une sollicitation indue ;
– les sanctions disciplinaires encourues en cas de pratiques non conformes.
Pour les autres personnels, l’AFA recommande la mise en place d’un dispositif de sensibilisation qui doit porter, notamment, sur une présentation du code de conduite, de la corruption en générale, du comportement à adopter face à de tels faits et de présentation du dispositif d’alerte interne. Cette sensibilisation doit favoriser la prise de conscience des enjeux du phénomène de corruption dans l’entreprise et son environnement.
Pour les acteurs publics assujettis à l’article 3.3 de la loi Sapin 2, l’AFA recommande :
– Un dispositif de sensibilisation destiné à tous les personnels[12];
– Une formation obligatoire destiné aux personnes les plus exposés[13].
Au regard des enjeux financiers de la commande publique, la fonction achat peut être considérée comme une fonction à risques. Dans un tel cas, les acheteurs publics sont amenés à suivre la formation anticorruption afin de développer leur culture relative à l’intégrité, en les formant sur la vigilance à avoir dans le cadre de leur fonction et sur le comportement à adopter face à des situations à risques.
A terme, l’objectif de cette formation est de limiter les risques d’atteinte à la probité qui ont été identifiés dans la cartographie des risques de l’entité, limiter les comportements non appropriés et donc limiter l’application de sanctions disciplinaires aux salariés et aux agents.
4. Mise en place d’un régime disciplinaire
L’article 17.2.7 de la loi Sapin 2 impose la mise en place d’un « régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ».
Les paragraphes 339 et suivants des recommandations de l’AFA définit le régime disciplinaire comme « l’ensemble des mesures qu’une entreprise se réserve le droit de prendre à l’occasion d’un comportement qu’elle considère comme fautif ».
Est considéré comme une faute, le non-respect des règles fixées par le règlement intérieur et, par voie de conséquence, par le code de conduite qui y est intégré. Comme indiqué dans les recommandations de l’AFA, « l’instance dirigeante n’est pas tenue d’attendre que soit rendue une décision pénale pour mettre en œuvre des sanctions disciplinaires si les faits sont avérés et que leur gravité le justifie ».
Pour les acteurs publics assujettis à l’article 3.3 de la loi Sapin 2, les recommandations de l’AFA précise que « le régime disciplinaire correspond aux sanctions qu’un acteur public est susceptible de prendre à l’encontre d’un collaborateur dont le comportement est fautif » comme, par exemple, un comportement constitutif d’atteinte à la probité ou un manquement au code de conduite[14].
Comme pour les acteurs privés, l’instance dirigeante n’est pas tenue d’attendre la décision pénale pour mettre en œuvre des sanctions disciplinaires si les faits sont avérés et que leur gravité le justifie. En effet, la mise en œuvre des sanctions peut s’appuyer sur les constations de l’enquête interne circonstanciée permettant d’établir la matérialité des faits reprochés.
Toutes ces mesures et processus imposés par la loi Sapin 2 reposent sur la mise en place d’une cartographie des risques propres à chaque entité.
5. Mise en place d’une cartographie des risques
L’article 17.2.3 de la loi Sapin 2 précise qu’une « cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ».
Plus précisément, le paragraphe 117 des recommandations de l’AFA indiquent que la « cartographie permet aux entreprises d’engager et de formaliser une réflexion en profondeur pour créer les conditions d’une meilleure maîtrise de ces risques. La cartographie est mise en œuvre dans l’objectif de se prémunir contre les conséquences réputationnelles, juridiques, humaines, économiques et financières que pourrait générer leur réalisation ».
Comme précisé dans les recommandations de l’AFA, l’objectif de la cartographie est de procéder à une « analyse objective, structurée et documentée des risques de corruption auxquels une entreprise est exposée dans le cadre de ses activités. Elle résulte de l’analyse de l’ensemble des processus de l’entreprise qui la conduisent à interagir avec les tiers, ainsi que de l’identification des risques de corruption et à ce à chaque stade de ces processus ».
D’un point de vue méthodologique, au regard des recommandations de l’AFA, il convient de :
– Déterminer les rôles et responsabilités des parties prenantes (paragraphes 131 et suivants)
– Identifier les risques inhérents à l’activité de l’entreprise (paragraphes 133 et suivants)
– Evaluer les risques bruts (paragraphes 137 et suivants)
– Evaluer les risques nets ou résiduels (paragraphes 143 et suivants)
– Hiérarchiser les risques nets ou résiduels et mettre en œuvre un plan d’action (paragraphes 146 et suivants)
– Formaliser et mettre à jour la cartographie des risques (paragraphes 151 et suivants).
En pratique, dans le cadre de la fonction achats et au regard de cette méthodologie, il conviendra par exemple de :
– Clarifier le rôle et les responsabilités des parties prenantes pour l’élaboration de la cartographie des risques : Direction, responsable conformité, responsables des services des achats et acheteurs publics ;
– Identifier les risques à chaque étape de l’acte d’achat : risque de transmission d’informations privilégiées à un candidat pendant le sourcing, risque de fractionnement du besoin pour contourner les seuils des marchés publics, risque d’attribuer un marché à un fournisseur qui n’est pas à jour de ses obligations sociales et fiscales …
– Evaluer le risque brut (sans les mesures de prévention déjà existantes) au regard des impacts sur l’organisation (Ex. : financier, réputation, juridique, logistique, ressources humaines …), de l’occurrence du risque (Ex. : rare, probable, fortement probable) et de facteurs aggravants (Ex. : domaine d’achat sensible, nature de la procédure d’achat, nombre d’opérateurs économiques potentiels …).
– Evaluer les risques nets (avec les mesures de prévention déjà existantes) en prenant en considération les moyens de prévention mis en œuvre par l’organisation (Ex. : processus de passation des marchés, procédure de contrôle des différentes étapes de passation, organisation des différentes fonctions achats, formation du personnel …).
– Hiérarchiser les risques nets et élaboration d’un plan d’action : au regard de l’évaluation des risques nets réalisée, une hiérarchisation peut être faite en départageant les risques pour lesquels un niveau de contrôle interne est jugé comme suffisant (Ex. : processus de passation des marchés) et ceux pour lesquels un plan d’action doit être élaboré (Ex. : vérification de la régularité sociale et fiscales des futurs titulaires de marchés).
– Formaliser la cartographie des risques qui devient un outil de pilotage des risques de corruption.
Pour les autres acheteurs publics (Etat, collectivités …), la méthodologie recommandée par l’AFA est celle décrite ci-dessus[15].
Pour tous les acheteurs publics, les mesures correctrices prises viendront modifier leur pratique achat par la mise en place de nouvelles procédures (Ex. : reporting des rencontres dans le cadre du sourcing des fournisseurs) ou par l’ajout de nouveaux contrôles (Ex. : vérification de la cohérence entre le projet d’achat et l’évaluation financière réalisée).
Elément essentiel d’une démarche anticorruption, la cartographie permet de formaliser l’exposition aux risques de corruption auxquels l’entité est exposée dans le cadre de son activité (analyse macro). En revanche, l’appréciation des situations individuelles doit se faire par une évaluation des tiers (analyse micro).
6. Mise en place d’une procédure d’évaluation des tiers
L’article 17.2.4 de la loi Sapin 2 indique que les entreprises doivent prévoir « procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ».
Les paragraphes 207 et suivants des recommandations AFA viennent préciser que « « les évaluations visent à permettre de décider d’entrer ou pas en relation avec un tiers, de poursuivre une relation en cours ou d’y mettre fin » puis que « l’évaluation de l’intégrité des tiers permet à l’entreprise d’apprécier des situations individuelles, ce que ne permet pas la cartographie des risques. Un tiers, considéré comme appartenant à un groupe peu risqué peut être requalifié en tiers risqué à l’issue de son évaluation individuelle ».
Pour un acheteur public, la procédure d’évaluation des tiers est nécessairement différente des recommandations de l’AFA au regard des dispositions du code de la commande publique et donc des principes à valeur constitutionnelle de liberté d’accès et d’égalité de traitement.
Dans un premier temps, les acheteurs publics doivent vérifier que les candidats à la procédure de marchés publics ne sont pas concernés par les cas d’exclusion prévus par les articles L.2141-1 et suivants du code de la commande publique (c’est-à-dire par les exclusions de plein droit et, le cas échéant, par les exclusions à l’appréciation de l’acheteur).
Dans un second temps, et après la notification des marchés, les acheteurs publics procèdent à l’évaluation des titulaires et, le cas échéant, des sous-traitants déclarés au sens de la loi Sapin 2.
Cette évaluation vise à identifier un niveau de risque avec chaque tiers au regard de la cartographie des risques propre à chaque acheteur public. Toutefois, tous les tiers ne seront pas nécessairement évaluer comme l’AFA le précise dans ses recommandations : « les groupes de tiers jugés pas ou peu risqués pourront ne pas faire l’objet d’une évaluation ou faire l’objet d’une évaluation simplifiée (…) ».
En pratique, l’évaluation des tiers peut être basée sur des données internes, des données publiques (articles de presse, décisions de justice, open data), des données externes acquises auprès d’un prestataire ou encore par un questionnaire transmis au tiers à évaluer (appelé « questionnaire due diligence »).
Ces différentes données doivent permettre de recenser des éléments d’identité (forme juridique, effectif, chiffres d’affaires, implantation géographique), d’identifier les principaux actionnaires ou encore d’apprécier la sensibilité du secteur d’activité du tiers au regard du risque de corruption.
Au regard de la dynamique de simplification administratives (avec le principe « dites-le nous une fois »), il convient d’être vigilent sur les données demandées aux tiers qui sont déjà en votre possession (Chiffres d’affaires, effectifs, forme juridique …).
Après la mise en place d’une cartographie des risques et de la procédure d’évaluation des tiers, l’entité doit mettre en place un dispositif de contrôle interne comptable participant à la maitrise des risques.
7. Mise en place de procédures de contrôles comptables, internes ou externes
L’article 17.2.5 dispose que « des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la société, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes prévus à l’article L. 823-9 du code de commerce ».
Les paragraphes 292 et suivants des recommandations AFA rappellent que « les procédures de contrôle et d’audit comptable, qui participent à la maitrise des risques des entreprises, constituent un instrument privilégié de prévention et de détection de la corruption ».
En pratique, les contrôles ont pour objet de s’assurer que données comptables ne sont pas utilisées pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Plus précisément, il s’agit, notamment, de détecter des paiements sans cause et justification. En pratique, en fonction de la cartographie des risques réalisée, les flux atypiques, les opérations exceptionnelles, les frais de représentation ou encore les frais de rémunération d’un intermédiaire ou d’un consultant peuvent constituer des situations à risque nécessitant un contrôle approfondi de la part du contrôle interne.
Pour les autres acheteurs publics (Etat, collectivités …), les recommandations de l’AFA rappellent la séparation entre l’ordonnateur et le comptable public, séparation qui vise « à assurer une bonne gestion des deniers publics et à garantir la probité »[16].
L’ordonnateur (l’acheteur public) se doit de mettre en place des contrôles internes et d’audit comptable qui participeront à la maitrise des risques de l’entité et donc de donner une assurance raisonnable sur la qualité des comptes c’est-à-dire leur fidélité à la réalité économique, patrimoniale et financière.
En parallèle, un audit interne comptable, visant à s’assurer que le dispositif de contrôle interne est conforme aux exigences de l’entité, doit être mis en place.
Au-delà du contrôle et des audits internes comptables, les organisations devront également mettre en place un dispositif de contrôle et d’audit interne relatif à la prévention et à la détection de risque de corruption.
8. Mise en place d’un dispositif de contrôle et d’évaluation interne (audit interne)
L’article 17.2.8 prévoit la mise en place d’un « dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre » dans le cadre de la loi Sapin 2.
Les paragraphes 317 et suivants des recommandations de l’AFA précise qu’afin « de s’assurer de l’adéquation et de l’efficacité des mesures et procédures visées au II de l’article 17 de la loi, l’entreprise développe un dispositif de contrôle et d’évaluation interne, qui peut être inséré dans son dispositif de contrôle et d’audit interne à vocation générale ».
La mise en place d’un tel dispositif vise à :
– Contrôler la mise en œuvre des mesures du dispositif anticorruption et tester leur efficacité ;
– Identifier et comprendre les manquements dans la mise en œuvre des procédures ;
– Définir les recommandations ou autres mesures correctives adaptées en vue d’améliorer le dispositif ;
– Détecter des faits de corruption, le cas échéant.
Plus précisément, les recommandations de l’AFA indiquent que « pour chaque mesure et procédure visée à l’article 17 de la loi, des contrôles de premier, deuxième et troisième niveaux sont définis et mis en œuvre » puis indique le périmètre du contrôle de 1er, 2ème et 3ème niveau pour chaque dispositif à mettre en œuvre[17].
Pour les acteurs publics assujettis à l’article 3.3 de la loi Sapin 2, l’AFA recommande d’intégrer les risques d’atteintes à la probité dans les dispositifs de contrôle interne et d’audit interne déjà existants en complétant, sur la base de la cartographie des risques d’atteintes à la probité, le plan d’action, le plan de contrôle et le plan d’audit[18].
En pratique, dans le cadre de la fonction achats, le contrôle interne peut porter sur des actions d’autocontrôle à partir de restitution des données issue du système d’information, des vérifications par un collègue par sondage ou encore par un supérieur pour les procédures d’achat sensibles et/ou dépassant un certain montant.
S’agissant de l’audit interne appliqué à la fonction achat, ce dernier peut porter sur l’audit de la phase de sourcing, sur le recours à la négociation, sur l’application des pénalités de retard ou encore sur les délais de paiement.
Conclusion :
Au regard des différentes mesures imposées par la loi Sapin 2, les pratiques des acheteurs publics vont nécessairement évoluer du fait de la mise en œuvre opérationnelle des recommandations de l’AFA dans chaque entité publique. Aussi, un acheteur public doit s’y intéresser afin de comprendre la philosophie des dispositifs mis en place et les intégrer ses pratiques achats (traçabilité, reporting, vérification …).
Au niveau de la structure, et comme indiqué par Charles Duchaine, « Nous considérons que les entités qui suivent nos recommandations de façon sincère et réelle bénéficient d’une présomption simple de conformité (…) Dans le cadre d’un contrôle ou à l’occasion d’une comparution devant la Commission des sanctions, l’entreprise qui peut justifier ou qui prétend avoir adopté nos recommandations part avec un avantage. Il appartient à l’AFA, le cas échéant, de démontrer que tel n’est pas le cas »[19].
En pratique, l’’AFA pourra se prévaloir de ses recommandations à partir du 1er juillet 2021 en cas de contrôle d’un opérateur économique ou d’une entité publique. Il reste donc quelques mois aux acheteurs publics et aux entités pour s’en imprégner, les mettre en place et finalement être prêts pour les futurs contrôles de l’AFA.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528/
[2] Avis du 22 décembre 2017 relatif aux recommandations de l’Agence française anticorruption : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/joe_20171222_0298_0176.pdf
[3] https://www.actuel-direction-juridique.fr/content/nouvelles-recommandations-de-lafa-nous-nous-sommes-clairement-devoiles
[4] https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/document/charte-des-droits-et-devoirs-des-parties-prenantes-aux-controles
[5] Avis du 4 décembre 2020 relatif aux recommandations de l’Agence française anticorruption : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042932087
[6] Paragraphe 5 des recommandations
[7] https://www.economie.gouv.fr/dae/maitriser-le-risque-de-corruption-dans-le-cycle-de-lachat-public-un-guide-pour-accompagner-tous
[8] https://www.ugap.fr/la-charte-de-deontologie-de-lugap_4526208.html
[9] Paragraphes 416 et suivants des recommandations
[10] Paragraphes 505 et suivants
[11] Paragraphe 187 et suivants
[12] Paragraphe 442 et suivants des recommandations
[13] Paragraphe 445 et suivants des recommandations
[14] Paragraphes 586 et suivants des recommandations
[15] Paragraphes 388 et suivants des recommandations
[16] Paragraphe 551 et suivants des recommandations
[17] Paragraphe 326 des recommandations
[18] Paragraphe 547 et suivants des recommandations
[19] https://www.actuel-direction-juridique.fr/content/nouvelles-recommandations-de-lafa-nous-nous-sommes-clairement-devoiles