La commande publique, valeur refuge pour les entreprises
En période de croissance économique, la commande publique a souvent mauvaise presse auprès des entreprises.
En effet, certains entrepreneurs ont des « idées reçues » sur les marchés publics.
En effet, certains entrepreneurs ont des « idées reçues » sur les marchés publics (complexité administrative, cycle long de décisions, marchés plus adaptés aux grandes entreprises) et/ou ont vécu une mauvaise expérience avec un acheteur public (éviction d’une procédure, délais de paiement, litige dans l’exécution) pouvant expliquer leur désintérêt pour le secteur public.
En période de crise économique, la donne évolue et les critiques envers la commande publique tendent à s’atténuer. En effet, en constatant la baisse de leur chiffre d’affaires et/ou l’absence de visibilité des projets avec le secteur privé, de nombreuses entreprises vont et/ou doivent se (re)tourner vers la commande publique pour obtenir de nouveaux contrats pour maintenir leur niveau d’activité.
Cet intérêt s’explique, notamment, par l’existence de besoins continus dans le secteur public y compris en période de crise économique (afin d’assurer la continuité des missions de service public), par la pérennité des entités publiques dans le temps (pas de procédure collective et pas de cessation de paiement), par des conditions de paiement souvent meilleures (que dans le secteur privé)[1] et enfin par des investissements publics massifs qui seront réalisés sur les prochaines années dans le cadre du plan de relance de l’économie[2].
Dans un tel contexte, les entreprises doivent donc s’interroger si la commande publique peut être uniquement une valeur refuge en période de crise ou si elle doit être un axe de développement sur le long terme ?
1. La commande publique, valeur refuge en période de crise économique ?
Les pouvoirs publics ont pris certaines mesures exceptionnelles et temporaires pour inciter les entreprises à regarder du côté la commande publique en simplifiant et/ou encadrant les pratiques des acheteurs publics tout en injectant de l’argent dans certains secteurs d’activité en difficulté.
a. La multiplication des mesures « pro entreprises »
– Cas des entreprises bénéficiant d’un plan de redressement judiciaire au stade de la candidature
L’article 1er de l’ordonnance n°2020-738 du 17 juin 2020 portant diverses mesures en matière de commande publique [3] vient préciser qu’un acheteur public ne peut pas exclure une entreprise en redressement judiciaire dans la mesure où cette dernière bénéficie d’un plan de redressement.
En réalité, cette disposition n’est qu’une confirmation[4] d’une règle selon laquelle un acheteur public ne peut rejeter la candidature d’une entreprise en redressement judiciaire lorsque celle-ci a validé son plan de redressement (y compris si la durée du plan de redressement est inférieure à la durée du marché).
Aussi, cette disposition vise à sécuriser l’accès de ces entreprises à la commande publique en rappelant aux acheteurs publics la règle applicable dans un tel cas. Aussi, on peut s’étonner que l’article 4 de l’ordonnance précise que cette disposition soit applicable jusqu’au 10 juillet 2021.
Au stade de la phase candidature, une autre mesure vise à sécuriser les candidatures des entreprises ayant subi les impacts de la crise sanitaire.
– Appréciation des capacités économiques et financières des entreprises
Pour que les entreprises qui ont connu une forte diminution voire une interruption de leur activité du fait des mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 ne soient pas doublement pénalisées, l’article 3 de l’ordonnance du 17 juin 2020 prévoit que l’acheteur public doit neutraliser, dans l’appréciation des capacités économiques et financières, « le ou les exercices sur lesquels s’imputent les conséquences de la crise sanitaires liée à l’épidémie du covid 19 ».
Si cette mesure paraît pertinente dans le principe, elle peut être compliquée à mettre en œuvre au regard de sa rédaction de la disposition : « le ou les exercices sur lesquels s’imputent les conséquences de la crise sanitaire ». En effet, convient-il de prendre en compte uniquement le ou les exercices comptables[5] de l’entreprise sur l’année 2020 (année de l’état d’urgence sanitaire) ou conviendra-t-il également de prendre en compte les exercices des années à venir sachant que cette disposition est en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023 ?
A défaut de précision, cette disposition « pro entreprise » a pour objectif de limiter le rejet des entreprises au stade de la candidature au regard de capacités jugées insuffisantes car, en pratique, il sera difficile pour l’acheteur public de démontrer que la baisse du chiffre d’affaires n’est pas liée aux conséquences de la crise sanitaire.
A coté de la phase candidature, le gouvernement a également revu à la hausse certains seuils à partir desquels un acheteur public doit réaliser une procédure adaptée.
– Relèvement de certains seuils des marchés publics
Le décret n°2020-893 du 22 juillet 2020 vient relever certains seuils de marchés publics : d’une part, le relèvement du seuil des marchés publics de travaux est relevé à 70K HT jusqu’au 10 juillet 2021 et, d’autre part, le seuil des marchés publics de fourniture de denrées alimentaires est rehaussé à 100 K HT dans la mesure où les denrées ont été produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (soit le 10 juillet 2020) et que les produits sont livrés avant le 10 décembre 2020.
Cette dissociation (même temporaire) des seuils en fonction de la catégorie de marchés publics semble pragmatique et avait été avancée dans un article précédent[6]. Toutefois, le débat du relèvement du seuil à tous les secteurs ou à de nouveaux secteurs fait encore débat actuellement.
Cette mesure est d’apparence la plus séduisante pour aider les entreprises à décrocher rapidement des marchés publics. Toutefois, à défaut de publication d’un avis de marché (principe de la procédure sans publicité ni mise en concurrence), la tâche va s’avérer complexe pour des « nouveaux entrants ».
Enfin, il convient de noter que dans le cadre du projet de loi ASAP[7], certaines mesures temporaires pourront être inscrites définitivement dans le code de la commande publique.
Au-delà de ces mesures « pro entreprises » (temporaires ou définitives), le gouvernement va accompagner le redémarrage de l’économie via de nombreux investissements publics sectoriels.
b. Un plan de relance pour stimuler l’activité des entreprises
Le plan de relance présenté par le gouvernement le 3 septembre 2020[8] vise à stimuler l’activité des entreprises via des investissements publics dans certains secteurs d’activité :
– Secteur du bâtiment et de la rénovation : le plan de relance prévoit des projets de rénovation énergétique des bâtiments publics et des logements sociaux.
– Secteur des travaux publics : des rénovations de barrages, des ports, rénovation des réseaux d’eau ou encore des mises aux normes des stations de traitement des eaux seront engagées.
– Secteur de l’automobile : le verdissement du parc automobile de l’Etat est un des axes du plan de relance. Par exemple, le ministère de l’Intérieur passera par une commande de 2 300 véhicules (dont des Renault Zoé produites à Flin et des Peugeot 5008 produites à Rennes et Sochaux)[9]. Les commandes se feront sur des accords-cadres à bons de commande déjà attribués ce qui permet de connaître déjà les modèles.
– Secteur des monuments historiques : les monuments historiques bénéficieront également du plan de relance et, notamment, les cathédrales dans le cadre d’un « plan cathédrale » visant à rénover plusieurs édifices religieux dont l’Etat est propriétaire (Chartres, de Clermont-Ferrand, Nevers, Beauvais…).
– Secteur ferroviaire : modernisation du réseau ferré le plus circulé, poursuite du développement du tram en région Ile de France, soutien et développement du fret ferroviaire sont les axes du plan de relance
En pratique, ces investissements publics se matérialiseront pas des procédures de marchés publics auxquelles les entreprises devront candidater seules, en groupement ou en étant sous-traitantes.
Les secteurs concernés sont des domaines d’activité pour lesquels de nombreuses entreprises sont déjà présentes et titulaires de marchés publics.
Aussi, une entreprise, qui n’a jamais candidaté à un marché public, aura quelques difficultés à gagner face à une entreprise déjà implantée sur le secteur public[10]. En effet, si les mesures « pro entreprises » et les investissements publics auront pour effet d’attirer certaines entreprises qui s’en désintéressaient jusqu’à présent, ces efforts sont surement nécessaires mais insuffisants pour permettre à des « nouveaux entrants » de gagner un marché public (y compris en relevant les seuils).
Il revient donc aux entreprises, qui veulent se positionner sur le secteur public pour la première fois, d’identifier la commande publique comme un axe de développement long terme dans leur stratégie (et non comme une solution palliative).
2.La commande publique, axe de développement sur le long terme !
La perspective d’un développement sur long terme peut inquiéter les petites et moyennes entreprises. Or, force est de constater que la commande publique bénéficie également aux PME et ETI.
a. Un potentiel important y compris pour les PME et ETI
Selon les données de l’Observatoire Economique de la Commande publique (OECP), les marchés publics représentent environ 100 milliards d’euros en 2018 pour plus de 150 000 contrats dont la majorité (en nombre) porte sur des prestations de service et des travaux.
Sur ces 100 milliards, 80,4% ont été adressés directement à des PME et des ETI (titulaire de rang 1) en nombre et 54,6% en volume (en euros) en 2018.
En outre, il convient de noter, qu’en 2018, que la majorité des actes de sous-traitance dans les marchés publics est réalisée au profit de PME et des ETI (86,4% en nombre et 78,2% en volume) selon l’étude sur la sous-traitance de l’Observatoire Economique de la Commande Publique publiée en juin 2020[11].
Ainsi, les PME et ETI profitent de la commande publique en étant titulaires et/ou sous-traitantes.
Toutefois, malgré ces données satisfaisantes et globalement stables ces dernières années, il est globalement considéré que les PME et les ETI ne bénéficient pas assez du potentiel de la commande publique[12].
Pour remédier à ce sentiment, de nombreuses mesures ont été prises ces dernières années pour améliorer l’accès des PME et ETI à la commande publique sans pour autant diminuer ce ressenti.
Ce sentiment doit être atténué pour deux raisons : la première est qu’il y a nécessairement plus de « perdants » que de « gagnants » dans le cadre d’une mise en concurrence. La seconde porte sur le fait qu’il est très certainement plus « facile » pour une entreprise déjà titulaire de marchés publics de gagner d’autres marchés qu’un « nouvel entrant ».
En effet, les principales difficultés d’accès à la commande publique d’un « nouvel entrant » se matérialisent notamment par :
– La méconnaissance du fonctionnement des marchés publics
– L’absence de ressource humaine pour répondre aux consultations
– Le manque de temps pour répondre à une consultation
– La difficulté à identifier les consultations publiées
– La complexité administrative des dossiers de consultation des entreprises
– L’inadéquation entre l’offre et la demande
En outre, lorsqu’une entreprise décide d’investir un nouveau secteur, elle attend des résultats en décrochant des contrats rapidement. Or, en matière de commande publique, les entreprises sont confrontées des cycles longs pour le lancement de la procédure puis dans la prise de décision, cycle en décalage avec le rythme des entreprises.
Ce décalage temporel met en exergue que le développement dans le secteur public ne se réalise pas du jour au lendemain : c’est un investissement sur le long terme que toutes entreprises ne peuvent / veulent pas se permettre en période d’activité normale et, de surcroit, en période de crise économique.
Enfin, il convient de noter que la prise de décision de l’acheteur public se fait de moins en moins sur le critère unique du prix. Les aspects liés à la valeur technique, la qualité de service, à l’insertion sociale et/ou encore au développement durable prennent une place importante dans la sélection de l’offre « économiquement la plus avantageuse » au sens du code de la commande publique[13].
Face à ces constats, les PME et ETI doivent donc investir la commande publique sur le long terme sans négliger d’intégrer l’aspect développement durable dans leur réflexion et positionnement.
b. L’indispensable prise en compte du développement durable
La loi pour la transition énergétique, la loi pour l’économie circulaire, la loi pour l’énergie et le climat … la multiplication des normes liées à la protection de l’environnement souligne la prise de conscience d’encadrer certaines activités et d’inciter les entreprises à intégrer le développement durable dans leur modèle économique.
Ces évolutions en matière de développement durable sont très attendues par une partie des citoyens comme le démontrent les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. A ce titre, la commande publique est identifiée comme un « levier financier fort pour réaliser la transition » et comme « un symbole pour encourager la transformation de la société ». A ce titre, il est proposé, notamment, de :
– Rendre la clause environnementale obligatoire dans les marchés publics ;
– Mettre en avant la valeur écologique des offres avec la notion « d’offre écologiquement la plus avantageuse »: montrer que l’offre valorisée sur les marchés publics est la plus viable écologiquement et pas la plus intéressante économiquement.
Cette prise en compte accrue du développement durable dans les marchés publics doit inciter les entreprises à faire évoluer leur offre en intégrant l’éco-conception dans la fabrication des produits, en limitant les coûts d’exploitation, en anticipant la fin de vie du produit et/ou encore en favorisant l’insertion de personnes éloignées de l’emploi.
Bien évidemment, cette intégration par les entreprises n’a de sens que si les acheteurs publics s’en saisissent également et joue véritablement le jeu en analysant en sélectionnant les offres au-delà d’un critère prix pondéré à 80%.
La dynamique semble enclenchée avec la refonte des cahiers des clauses administratives générales (CCAG)[14] qui doit renforcer les dispositions liées au développement durable dans les marchés publics, notamment, par l’insertion de clauses relatives à l’insertion de travailleurs en difficulté ou encore par l’intégration de clauses relatives à la gestion des déchets.
Cette prise en compte doit donc s’inscrire dans une stratégie globale de l’entreprise afin de se distinguer des concurrents (français, européens et/ou hors UE).
En outre, il ressort de différentes études que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est un facteur de résilience et de compétitivité des entreprises en période de crise[15].
Conclusion
Etre titulaire d’un marché public en France est une sorte de « labels » pour les acheteurs publics (les fameuses « références » qui ne se valorisent pas !).
Etre titulaire d’un marché public en France est un gage de crédibilité pour répondre à des marchés publics à l’international (pourquoi cette entreprise n’a pas de marchés dans son pays d’origine ?).
Etre titulaire de marchés publics permet de diversifier ses clients et ainsi sécuriser son chiffre d’affaires, notamment, en période de crise.
Mais devenir titulaire de marchés publics ne se décrète pas. C’est un investissement long terme avec une stratégie, une organisation et des ressources dédiées pour obtenir un ROI.
[2] https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance#
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042007254
[5] L’exercice comptable d’une entreprise n’est pas obligatoire aligné sur une année civile : il peut donc y avoir deux exercices au titre d’une année
[6] Article « le relèvement du seuil des marchés publics : une fausse (bonne idée) » : https://www.e-attestations.com/index.php/component/content/article/41-conformite-commande-publique/85-commande-publique-reglementation-relevement-seuil-decret-2019-1344?Itemid=274
[7] Projet de loi pour l’accélération et de simplification de l’action publique (Asap)
[8] https://www.economie.gouv.fr/presentation-plan-relance
[9] https://www.interieur.gouv.fr/Le-ministre/Communiques-du-ministre/2-300-vehicules-neufs-vont-renforcer-des-cette-annee-les-moyens-des-forces-de-l-ordre
[10] Article « la notion de PME dans la nouveau code de la commande publique » https://www.e-attestations.com/index.php/component/content/article/41-conformite-commande-publique/52-solution-reglementation-pme-commande-publique?Itemid=274
[11] https://www.economie.gouv.fr/daj/loecp-publie-une-etude-sur-la-sous-traitance-dans-les-marches-publics
[12] Par exemple : Rapport d’’information Sénat n° 82 (2015-2016) de M. Martial BOURQUIN « Passer de la défiance à la confiance : pour une commande publique plus favorable aux PME ».
[13] Par exemple, l’utilisation de dispositions environnementales progresse selon l’OECP : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/oecp/recensement/chiffres-OECP-cp-2018.pdf
[14] https://www.economie.gouv.fr/daj/reforme-des-ccag-reunion-de-lancement-des-groupes-de-travail
[15] https://www.novethic.fr/actualite/entreprise-responsable/isr-rse/la-rse-facteur-de-resilience-et-de-competitivite-des-entreprises-face-a-la-crise-148814.html