Faciliter l’accès des microentreprises à la commande publique
Faciliter l’accès des TPE et PME à la commande publique est un objectif assigné aux acheteurs publics par la directive européenne 2014/24 et par les gouvernements successifs mais aussi une attente forte de ces entreprises et des citoyens/contribuables pour soutenir l’économie et l’emploi local.
Le code de la commande publique impose un certain nombre d’obligations (allotissement, détection de offres anormalement basses, respect des délais de paiement …) mais propose également des outils pour faciliter l’accès de cette catégorie d’entreprises à la commande publique (sourcing, groupement d’entreprises, avance forfaitaire supérieure à 5% …).
Toutefois, force est de constater que ces obligations et outils n’influent pas assez rapidement sur le nombre et le volume de marchés attribués à ces entreprises [i] . Fondamentalement, la connaissance et les pratiques des acheteurs publics vis-à-vis de ces PME et microentreprises doivent évoluer pour les aider à s’intéresser puis d’accéder à la commande publique.
La connaissance du fonctionnement des PME peut passer par des échanges réguliers avec des entrepreneurs dans le cadre de réseau professionnel, de lectures sur l’entreprenariat ou encore d’échanges dans le cadre d’un « vis ma vie »[ii] sur une période courte !
Côté bonnes pratiques, il s’agit d’attirer les microentreprises, de donner de la visibilité sur ces projets d’achat, de laisser du temps pour construire la réponse, d’intégrer les contraintes des entreprises, de simplifier les dossiers ou encore d’être précis dans l’expression de son besoin.
Dans le présent article, nous allons distinguer la phase amont de la procédure de marchés publics de la phase de rédaction du dossier de consultation des entreprises pour énumérer quelques bonnes pratiques susceptibles de faciliter l’accès des microentreprises à la commande publique.
1 – En amont de la procédure de marchés publics
1.1 Publication de la programmation des achats par acheteur public
Pour les microstructures aux ressources humaines limitées, il est important de pouvoir planifier au maximum le travail de ses (quelques) salariés. Aussi, elle doit avoir connaissance le plus en amont possible d’un projet de marchés publics avec quelques données (volume estimatif, calendrier prévisionnel, donneurs d’ordre) afin de pouvoir planifier ses travaux.
En effet, une microstructure n’a pas une cellule dédiée à la réponse aux appels d’offres (privés ou publics) contrairement à la plupart des grandes entreprises (GE) et certaines entreprises de taille intermédiaire (ETI). Certaines de ces ET ou GE sont devenus des « champions » de la réponse aux appels d’offres en recrutant des acheteurs publics et en réalisant une veille à 360° sur les projets d’achat.
Pour être en capacité de répondre, une microentreprise doit donc « libérer » ses ressources humaines des actions commerciales, des tâches de production ou encore des projets de recherche et développement pour les mobiliser exclusivement sur la réponse à la procédure de marchés publics alors qu’elle n’est pas certaine, par définition, de gagner le contrat.
Aussi, la décision n’est donc pas facile à prendre pour un chef d’entreprise aux ressources humaines limitées.
Pour faciliter l’accès des microentreprises à la commande publique, une bonne pratique consiste à publier sa programmation des achats sur son site Internet et communiquer sur la mise en ligne de cette programmation.
Cette programmation en ligne doit provoquer la curiosité des entreprises en veille sur le sujet et qui ambitionnent de répondre à des marchés publics. Certaines solliciteront un rendez-vous afin de pouvoir échanger au moment des opérations de sourcing portant sur le projet d’achat en question.
1.2 Le sourcing des microentreprises
Le sourcing des fournisseurs (consacré à l’article R.2111-1 du code de la commande publique) a, pour objectif premier, de confronter votre besoin aux offres existantes sur le marché afin d’aider l’acheteur à bien rédiger son cahier des charges. Toutefois, le sourcing doit également servir à répondre à d’autres objectifs vis-à-vis des entreprises et, plus particulièrement, vis à vis des microentreprises :
– Intéresser les fournisseurs à votre procédure de marchés publics ;
– Faire comprendre l’intérêt d’avoir une référence dans le secteur public ;
– Présenter le potentiel dans le secteur public ;
– Rassurer les fournisseurs sur la « complexité » d’une réponse à un marché public ;
– Sensibiliser les fournisseurs aux prérequis d’une réponse aux marchés publics ;
– Rassurer sur le fait que l’acheteur public n’est pas un mauvais payeur ;
– Démontrer que d’autres microentreprises sont déjà titulaires de marchés publics ;
– Échanger sur les pratiques de l’amont industriel.
Pour faciliter la mise en relation, l’acheteur public doit permettre aux entreprises de prendre contact avec la direction des achats et/ou la direction qui prescrit le besoin. Cette prise de contact facilitée peut passer par un formulaire de contact sur le site Internet, une adresse électronique générique, la participation à des salons professionnels et/ou à des forum / assises de l’achat public organisés sur votre territoire [iii].
Toutefois, ces actions ont leur limite et il convient, dans certains cas, de viser plus largement l’écosystème.
1.3 La sollicitation de l’écosystème
En France, les PME représentent 99,9% des entreprises et le nombre d’acheteurs publics (personnes morales) est supérieur à 100 000. Paradoxalement, il est compliqué que l’offre rencontre la demande comme le montre les données de l’Observatoire Économique de la Commande Publique (OECP) pour 2018.
Aussi, malgré les efforts de communication (publication de la programmation des achats, point de contact, participation à des salons professionnels …), il peut être pertinent pour l’acheteur public de solliciter l’écosystème et, plus particulièrement, les fédérations professionnelles, les pôles de compétitivité ou encore le réseau French Tech afin de présenter leur programmation d’achat et/ou un projet d’achat particulier qui impose d’« aller chercher » de nouveaux acteurs.
Les écosystèmes solliciteront leur adhérent / membre pour venir vous écouter en cas de présentation et échanger avec vous dans le cadre de rencontres B to B. Ces premiers échanges permettront de faire connaitre votre projet d’achat auprès des entreprises et de prendre la mesure des contraintes et pratiques de l’amont industriel.
1.4 La prise en compte des pratiques de l’amont industriel
Dans le cadre des opérations de sourcing, il est important d’interroger les fournisseurs et, notamment, les microentreprises sur les contraintes et pratiques de l’amont industriel afin, dans la mesure du possible et du raisonnable, de les prendre en compte dans la rédaction de votre futur cahier des charges.
En effet, une entreprise n’essayera pas de répondre à une procédure de marchés si le cahier des charges est déconnecté des pratiques de la filière (techniques, modalités de paiement, organisation requise, imposition d’un label ou d’une norme …). A contrario, une ETI ou une GE seront plus en capacité de s’adapter et de répondre à la procédure quand bien même le cahier des charges est en décalage avec ces pratiques.
La prise en compte des pratiques de l’amont industriel dans le dossier de consultation des entreprises (DCE) est nécessaire mais pas suffisant pour inciter des microentreprises à télécharger et répondre au dossier de consultation des entreprises.
2 – Dans le dossier de consultation des entreprises
2.1 Exprimer son besoin le plus précisément possible
Ce premier point peut être considéré comme une tautologie mais il semble nécessaire de le rappeler : l’acheteur public doit exprimer le plus précisément son besoin dans le cadre du cahier des charges techniques. L’article L.2111-1 du code de la commande publique rappelle que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».
Une microentreprise ne se positionnera pas sur une procédure de marchés publics lorsque la nature du besoin est floue, que le périmètre du marché n’est pas clair, que le cahier des charges est contradictoire sur certains points et/ou que l’expression du besoin est trop sommaire pour être en capacité d’apporter des réponses techniques et financières pertinentes sans y passer un temps démesuré.
Dans ces cas, l’entrepreneur n’ira pas plus loin dans la procédure et clôturera le dossier de consultation des entreprises car, comme le dit le fameux dicton « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup ».
L’expression du besoin la plus claire possible est nécessaire mais la constitution et la lisibilité du DCE est également un point important pour les entreprises et un indicateur sur la maitrise du sujet car, comme le disait Victor Hugo, « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ».
2.2 Lisibilité et simplification du DCE
Au regard du temps nécessaire pour répondre à une procédure de marchés publics, la lisibilité et la simplification du DCE est une attente forte des entreprises et particulièrement des microentreprises.
Cette attente vise la rédaction du cahier des charges techniques et administratifs, des annexes prix (BPU, DQE ou DPGF) mais également des pièces de la candidature et du règlement de consultation.
Par exemple, la clarté sur les pièces exigées à la candidature, sur les capacités professionnelles techniques et financières requises, sur les critères et pondérations d’appréciation des offres ou encore les items qui doivent être développés dans le mémoire technique sont autant d’élément qui doivent être facilement identifiables et compréhensibles à la première lecture pour aider l’entreprise à répondre.
Dans le cahier des charges techniques, la description des besoins peut être fonctionnelle (performances, autonomie, hauteur, résistance …) et/ou par référence à des normes précises et en vigueur (ou leur équivalence) et, surtout, être en adéquation avec les contraintes et pratiques de l’amont industriel.
Au-delà d’aider les entreprises à répondre, la précision et la lisibilité de l’expression des besoins doivent permettre à l’acheteur d’obtenir des offres financières les plus justes possibles car les entreprises ne chercheront pas à se « couvrir » en intégrant une marge supplémentaire liée à l’approximation des termes du besoin.
Bien évidemment, la qualité et la justesse de l’offre financière proposée par les entreprises ne passent pas uniquement par la lisibilité et la simplification du DCE ; elles résultent également du délai de réponse laissé aux entreprises.
2.3 Un délai de réponse adapté aux catégories d’entreprises visées
Pour accroitre la concurrence et bénéficier d’offres pertinentes, une bonne pratique consiste à laisser un délai de réponse supérieur au délai minimum règlementaire prévu par le code de la commande publique.
Par exemple, dans le cadre d’un appel d’offres, le délai minimum règlementaire de 30 jours (calendaires) peut s’avérer un réel frein pour que des microentreprises analysent le DCE et rédigent une réponse appropriée dans le délai imparti.
Bien évidemment, le délai de réception doit tenir compte de la complexité du marché, de la nécessité de faire une visite de site et/ou de consulter des documents sur place (articles R2151-1 et R2151-3 du code de la commande publique) mais il doit également tenir compte de la taille des entreprises susceptibles d’y répondre. Un délai trop court sera un frein à la réponse de microentreprises alors que l’un des objectifs est de faciliter l’accès des TPE et PME à la commande publique [iv].
L’accès des microentreprises à la commande publique passe également par des clauses de paiement adaptés à cette catégorie d’entreprises.
2.4 Des clauses et des solutions de paiement adaptées
Les idées reçues sur les délais de paiement dans le secteur public sont très certainement l’un des premiers freins à l’intérêt des microentreprises pour les marchés publics.
Toutefois, il est bon de rappeler que, globalement, les délais de paiement des acheteurs publics sont inférieurs ou égal au délai règlementaire de 30 jours. En effet, selon le rapport 2018 de l’Observatoire des délais de paiement, l’État règle ses fournisseurs dans un délai moyen de 21,4 jours et le secteur public local et hospitalier dans un délai de 27,5 jours. Bien évidemment, derrière cette moyenne globale, il existe des disparités, notamment, sur le secteur local et hospitalier selon les données du rapport 2018 :
– Région : 33,1 jours
– Département : 23,0 jours
– Commune de moins de 500 habitants : 12,9 jours
– Commune de 10000 à 49 999 habitants : 26,5 jours
– Commune de plus de 100 000 habitants : 28,9 jours
– Office Public de l’Habitat : 26,9 jours
– Établissement public de soin [v]: 47,5 jours
En plus du respect des délais de paiement, les clauses relatives aux avances et aux acomptes doivent aller au-delà du minimum règlementaire afin d’inciter les microentreprises à répondre aux marchés publics. En effet, la facturation au service fait peut-être un réel handicap pour que des microentreprises répondent aux marchés publics au regard de ses coûts fixes et de sa trésorerie.
Les (bonnes) pratiques ayant des difficultés à se diffuser auprès des acheteurs publics, un projet de décret doit fixer le taux de l’avance forfaitaire à 10% pour les collectivités territoriales ayant des dépenses de fonctionnement supérieures à 60 millions / an après l’avoir fixé à 20% pour l’État en décembre 2018. Au regard de l’objectif assigné, ce nouveau taux est réservé exclusivement aux titulaires de marché ayant le statut de PME (définition basée sur 3 critères)[vi].
Pour payer encore plus rapidement les entreprises, d’autres pratiques se développent dans le secteur public comme la mise en place d’une solution d’affacturage collaboratif (ou inversé). Cette solution a été déployée, par exemple, à l’UGAP et au CHI de Créteil afin de régler ses titulaires de marchés en 5 jours ouvrés. L’article 106 de la loi PACTE a consacré l’affacturage inversé dans l’objectif de développer cette bonne pratique dans le secteur public. Toutefois, nous sommes encore loin des délais de paiement (records) de 4 heures en Corée du Sud pour les PME à travers un compte spécial de l’agence coréen des marchés publics.
Une fois la procédure arrivée à son terme, une autre bonne pratique consiste également à contacter les entreprises et, plus particulièrement, les microentreprises évincées afin de débriefer avec elles sur les points faibles de leur dossier de réponse dans une perspective d’amélioration continue, de les encourager à répondre à d’autres procédures de marchés publics et, le cas échéant, de leur donner des pistes d’axes stratégiques vis-à-vis des marchés publics.
L’utilisation de ces bonnes pratiques par les acheteurs publics doit contribuer à l’amélioration de l’image de la profession auprès des microentreprises et surtout ne pas les décourager à répondre aux marchés publics en France qui représentent près de 10% du PIB.
[i] Données 2018 de l’Observatoire Économique de la Commande Publique (OECP)
[ii] Initiative proposée par le lab Pareto aux responsables des achats et dirigeant de TPE/PME
[iii] Exemple : assises de l’achat public organisées à Grenoble tous les ans au mois d’octobre regroupant une vingtaine d’acheteurs publics
[iv] Guide pratique pour faciliter l’accès des TPE/PME à la commande publique publié par la DAJ en juin 2019
[v] Pour les établissements publics de soin, le délai règlementaire est à 45 jours calendaires.
[vi] Cf. article publié sur le site E-attestations « La notion de PME dans le nouveau code de la commande publique »