La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP)
L’impact sur le code de la commande publique de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP).
Après une validation partielle par le Conseil Constitutionnel[1], la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP)[2] a été publiée au Journal officiel. Elle vient impacter directement les pratiques des acheteurs publics par la modification et l’ajout d’articles dans le code de la commande publique.
Ces évolutions ont des raisons très variables (sur-transposition par le code de la commande publique, codification des certains éléments pris provisoirement par l’ordonnance n°2020-139 du 25 mars 2020, clarification des modalités de modification des marchés au regard de l’évolution de la règlementation de la commande publique, mesures provisoires liées à la crise du COVID 19 …) et, pour certaines, des précisions sont encore attendues par la publication d’un décret d’application et, certainement, d’une fiche technique par la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) de Bercy.
En attendant ces précisions, il convient de découvrir ces différentes modifications et les impacts pour les acheteurs publics :
1. Le relèvement du seuil (interne) des marchés de travaux à 100 000€ jusqu’au 31 décembre 2022
La loi ASAP (article 142) vient modifier provisoirement le seuil (interne) de dispense de publicité et de mise en concurrence pour les marchés publics de travaux : « Jusqu’au 31 décembre 2022 inclus, les acheteurs peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 € hors taxes ».
Cet article vient modifier le seuil déjà modifié par l’article 1er du décret n°2020-893 du 22 juillet 2020 qui avait rehaussé le seuil de 40 000 à 70 000 euros HT jusqu’au 10 juillet 2021.
Ce seuil (interne) provisoire pour les marchés publics de travaux serait pertinent de devenir définitif et distinct du seuil des marchés de fournitures courantes et services comme le soulignait un précédent article publié[3].
2. La modification des marchés publics publiés avant le 1er avril 2016
L’article 133 vient préciser que « Les contrats répondant à la définition des contrats de la commande publique énoncée à l’article L.2 du code de la commande publique pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence a été envoyé à la publication avant le 1er avril 2016 peuvent être modifiés sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions définies par le code de la commande publique ».
En pratique, cet article vient clarifier les conditions de modifications des marchés dont la procédure de passation avait été engagée avant le 1er avril 2016 (c’est-à-dire sous le régime du code des marchés publics de 2006) en précisant que les modifications de ces marchés se feront dans les conditions prévues par le code de la commande publique en vigueur depuis le 1er avril 2019.
Pour les marchés publiés sous le régime du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, les modifications sont réalisées conformément aux dispositions de ce décret.
3. La fusion des deux régimes juridiques relatifs aux marchés réservés
L’article 141 vient modifier l’article L.2113-14 du code de la commande publique relatif aux marchés réservés en fusionnant les deux régimes juridiques existants : « Un acheteur peut réserver un même marché ou un même lot d’un marché à la fois aux opérateurs économiques qui répondent aux conditions de l’article L. 2113-12 et à ceux qui répondent aux conditions de l’article L. 2113-13 ».
En pratique, cette modification de l’article L.2113-14 du code de la commande publique permet désormais réserver un même marché aux entreprises adaptées (EA), aux établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et aux structures d’insertion par l’activité économique (SIAE).
4. L’exclusion des marchés de prestations juridiques du champ d’application du code de la commande publique
La loi ASAP (article 140) vient compléter l’article L2512-5 du code de la commande publique relatif aux autres marchés et vient préciser les marchés exclus du champs d’application du code de la commande publique : « d) Les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, devant les autorités publiques ou les institutions internationales ou dans le cadre d’un mode alternatif de règlement des conflits » ;
– « e) Les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation de toute procédure mentionnée au d du présent 8° ou lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l’objet d’une telle procédure ».
Cette modification du code de la commande publique met fin à une « sur-transposition » de la directive 2014/24 par le code de la commande publique et dispense désormais les acheteurs publics de réaliser une procédure de publicité et mise en concurrence pour de telles prestations.
5. Le cas des entreprises en redressement judiciaire :
– La candidature des entreprises en redressement judiciaire
L’article 131 de la loi ASAP vient modifier l’article L.2141-3 du code de la commande publique relatif aux exclusions de plein droit au stade de la candidature en précisant que les entreprises en situation de redressement judiciaire et bénéficiant d’un plan de redressement peuvent candidater à un marché public.
« Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes : (…) 3° Admises à la procédure de redressement judiciaire instituée par l’article L. 631-1 du code de commerce ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger, et qui ne bénéficient pas d’un plan de redressement ou qui ne justifient pas avoir été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d’exécution du marché ».
Cette modification vient est très certainement la codification de la jurisprudence du Conseil d’Etat du 25 janvier 2019[4] énoncée dans un précédent article publié[5] qui précisait que « la circonstance que le plan de redressement mis en place par ces jugements prévoyait l’apurement du passif sur une durée limitée et que la durée d’exécution du marché excédait, en l’espèce, la durée d’apurement du passif restant à courir était à cet égard sans incidence, le plan de redressement ne limitant pas dans le temps la poursuite de l’activité de l’entreprise. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le marché ne pouvait être attribué à la société Dauphin Télécom au motif qu’elle se serait trouvée dans le cas d’interdiction prévu par le c) du 3° de l’article 45 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 doit être écarté ».
Ainsi, une entreprise candidate se trouvant en redressement judiciaire et bénéficiant d’un plan de redressement ne doit pas être exclue de la procédure. En pratique, l’existence d’un plan de redressement sera mentionnée au Registre du Commerce et des sociétés (extrait K-bis) d’où la nécessité d’être en possession de ce document.
Au-delà de de la candidature, la loi ASAP vient également préciser les conditions de résiliation d’un marché en raison du redressement judiciaire du titulaire.
– La résiliation du marché en raison du redressement judiciaire du titulaire
L’article 131 de la loi ASAP vient modifier également l’article L2195-4 du code de la commande publique relatifs aux résiliations du marché. Plus précisément, l’acheteur public ne pourra plus prononcer la résiliation du marché public du seul fait que l’entreprise n’a pas « informé sans délai de son changement de situation » l’acheteur public. En effet, l’article L2195-4 prévoir désormais que : « Lorsque le titulaire est, au cours de l’exécution du marché, placé dans l’un des cas d’exclusion mentionné aux articles L. 2141-1 à L. 2141-11, il informe sans délai l’acheteur de ce changement de situation. L’acheteur peut alors résilier le marché pour ce motif. Toutefois, l’acheteur ne peut prononcer la résiliation du marché au seul motif que l’opérateur économique fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire en application de l’article L. 631-1 du code de commerce, sous réserve des hypothèses de résiliation de plein droit prévues au III de l’article L. 622-13 du même code ».
En pratique, l’acheteur public pourra prononcer la résiliation d’un marché public lorsque l’entreprise se retrouve en redressement judiciaire et dans la mesure où l’un des deux motifs prévus à l’article L.622-13.3 du code du commerce est également remplie :
– Absence de réponse de l’administrateur sur la possibilité de poursuivre le contrat
– Absence d’accord de l’acheteur pour poursuivre les relations contractuelles.
6. Le recours au marché sans publicité ni mise en concurrence pour motif d’intérêt général
La loi ASAP (article 131) vient modifier l’article L. 2122-1 du code de la commande publique relatif aux marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables en ajoutant la possibilité de conclure des tels marchés pour un « motif d’intérêt général » : « L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d’Etat lorsqu’en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d’une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur ou à un motif d’intérêt général »
Sur cet ajout, la Direction des affaires juridiques de Bercy a précisé dans une note qu’ « il ne s’agit pas, toutefois, de permettre aux acheteurs de décider eux-mêmes de déroger aux procédures en fonction de leur propre appréciation de l’intérêt général à un moment donné. Les cas dérogatoires restent définis par décret en Conseil d’État (art. R. 2122-1 et s. du CCP) »[6].
Ainsi, la portée de cette modification sera limitée pour les acheteurs publics et dépendra donc de la publication d’un décret pris par le gouvernement.
7. L’introduction de dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles
La loi ASAP (article 132) introduit un nouveau livre VII relatif aux circonstances exceptionnelles dans la deuxième partie relative aux marchés publics de la partie législative du code de la commande publique.
Par « circonstances exceptionnelles », la disposition vise très certainement la guerre, les pandémies ou encore les catastrophes naturelles reconnue par la loi.
L’ajout de l’article L.2711-1 dans le code de la commande publique est une codification de l’ordonnance n°2020-139 du 25 mars 2020 qui est venue déroger aux dispositions du code de la commande publique pendant le premier confinement au printemps 2020 suite à l’Etat d’urgence sanitaire lié au COVID 19.
Ainsi, l’article L.2711-1 du code de la commande publique précise que : Lorsqu’il est fait usage de prérogatives prévues par la loi tendant à reconnaître l’existence de circonstances exceptionnelles ou à mettre en œuvre des mesures temporaires tendant à faire face à de telles circonstances et que ces circonstances affectent les modalités de passation ou les conditions d’exécution d’un marché public, un décret peut prévoir l’application de l’ensemble ou de certaines des mesures du présent livre aux marchés publics en cours d’exécution, en cours de passation ou dont la procédure de passation n’est pas encore engagée ».
En pratique, un décret précisera les dispositions applicables au regard des « circonstances exceptionnelles » en adaptant les modalités de passation et/ou les conditions d’exécution des marchés publics « pour tout ou partie du territoire » et « pour une période ne pouvant pas excéder vingt-quatre mois ».
Comme le précise la DAJ[7], « afin de pouvoir réagir plus rapidement et plus efficacement à la survenance de circonstances exceptionnelles nouvelles, la mesure a pour objet d’inscrire dans le code de la commande publique un dispositif pérenne, s’inspirant du dispositif mis en place pendant l’état d’urgence sanitaire, qui pourra être mis en œuvre par décret ».
8. La part des PME dans les marchés globaux
La loi ASAP vient ajouter deux articles impactant les marchés globaux. D’une part, l’article L.2152-9 du code de la commande publique est ajouté dans la section 3 relative à choix de l’offre économiquement la plus avantageuse et dispose que : « L’acheteur tient compte parmi les critères d’attribution des marchés globaux mentionnés à l’article L. 2171-1 de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans ».
D’autre part, l’article L.2171-8 du code de la commande publique est ajouté dans le chapitre relatif aux règles applicables à certains marchés globaux et précise que : « Le marché global prévoit la part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans. Cette part minimale est établie dans des conditions prévues par voie réglementaire ».
En pratique, la part du marché confié à des PME par le candidat peut être un critère de sélection des offres pour tous les marchés globaux (conception-réalisation, de performance ou sectoriels) et la part de PME dans le contrat global peut également être une condition d’exécution (avec un minimum « qui sera fixé par un décret).
La loi ASAP vient donc modifier les pratiques des acheteurs publics sur certains points. Ainsi, l’acheteur public devra se montrer vigilant, notamment, sur les cas des candidatures en redressement judiciaire, sur la résiliation d’un marché public en raison du redressement judiciaire du titulaire. La vérification de la situation juridique des candidats puis le suivi des fournisseurs devenus titulaires de marchés publics sont des éléments encore plus importants en période de crise économique.
[1] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020807DC.htm
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000042619877/2020-12-14/
[3] https://www.e-attestations.com/index.php/component/content/article/41-conformite-commande-publique/85-commande-publique-reglementation-relevement-seuil-decret-2019-1344?Itemid=274
[4] CE, 25 janvier 2019, n°421844
[5] https://www.e-attestations.com/index.php/component/content/article/41-conformite-commande-publique/80-commande-publique-reglementation-temoignage-entreprises-difficulte-redressement-judiciaire?Itemid=274
[6] https://www.economie.gouv.fr/daj/mesures-commande-publique-du-projet-de-loi-asap-adoptees-en-premiere-lecture-lassemblee
[7] https://www.economie.gouv.fr/daj/mesures-commande-publique-du-projet-de-loi-asap-adoptees-en-premiere-lecture-lassemblee