Les questions que posent le décret 2019-33 du 18 janvier 2019
Comment e-Attestations répond concrètement à des sujets complexes et apporte des solutions permettant de respecter le décret. Le point de vue de Clément Bourasseau.
Attendu depuis plus de 2 ans, annoncé comme une révolution, le décret 2019-33 est discrètement entré en vigueur, sans fanfare, et suscite auprès des avertis, au-delà de la première lecture, circonspection et doute quant à sa mise en œuvre.
Depuis la loi pour une République numérique, l’article L114-8 du Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA) dispose que « toutes les informations ou données strictement nécessaires pour traiter une demande présentée par le public ou une déclaration transmise par celui-ci en application d’un texte législatif ou réglementaire » sont échangées entre administrations. Concrètement, les dispositions de l’article L113-13 du CRPA nous confirmaient que certaines pièces n’allaient plus être à produire, mais encore fallait-il qu’un décret les liste. C’est dorénavant chose faite avec ce décret d’application, portant création de l’article D113-14 du CRPA.
Depuis son entrée en vigueur, son écriture est telle que j’ai constaté des interprétations contraires de la part d’acheteurs publics, avocats ou formateurs rencontrés. Aussi, ai-je souhaité, à mon tour, enrichir la doctrine de ma modeste expérience sur la question des pièces justificatives à exiger de l’attributaire.
La simplification de l’accès aux marchés publics, leitmotiv réglementaire
Etonnement absente des 11 mesures du Gouvernement pour moderniser la commande publique, pourtant axées sur la simplification de l’accès des PME à la commande publique, les dispositions de l’article D113-14 ne s’inscrivent pas moins dans la continuité des mesures prises ces dernières années, dans l’objectif affiché d’une simplification du candidat.
Parmi ces mesures, on peut rappeler le décret de mise en œuvre du plan de relance économique dans les marchés publics qui abroge le système de double enveloppe séparant physiquement la candidature de l’offre, pouvant ainsi conduire à écarter un candidat pour une erreur de forme.
Quelques années plus tard, la mise en place progressive des Marchés Publics Simplifiés, depuis 2014, a permis, via la simple saisie du n° SIRET, la récupération des attestations sociales et fiscales du candidat.
Plus récemment, les dispositions de l’article 68 du décret relatif aux marchés publics, invitent alors – sans toutefois les contraindre – les acheteurs publics à n’exiger les pièces justificatives qu’auprès de l’attributaire, afin d’épargner à un soumissionnaire évincé une démarche administrative inutile (mais qui n’épargne plus l’acheteur d’analyser une offre dont il sait que le candidat est frappé d’interdiction de soumissionner par exemple…)
Enfin, dans son article 51, le dispositif « Dites-le nous une fois » est instauré, et progressivement obligatoire, permettant aux soumissionnaires de ne pas devoir communiquer deux fois une même attestation, à la condition que celle-ci demeure valable.
C’est donc sans surprise que, dorénavant, une étape supplémentaire vient systématiser la récupération des attestations via des échanges entre administrations, sans sollicitation de l’attributaire.
Assez curieusement, par amalgame, il a été donné le nom de décret « Dites-le nous une fois » aux décrets 2019-31 (portant expérimentation) et 2019-33. On est pourtant sur une logique différente des dispositions de l’article R. 2143‐14 du Code de la Commande Publique (CCP) ; le « nous » désignant soit l’Administration « Etat-plateforme » comme un tout dans le premier cas, soit le seul pouvoir adjudicateur dans le second.
Si la cohérence est au rendez-vous, il n’y a toutefois là pas matière à révolution, voire plutôt à précipitation.
En effet, ce décret ne fait ainsi que généraliser, en le rendant obligatoire à tous les acheteurs publics, des pratiques déjà mises en place, depuis un lustre, dans le cadre du MPS. Il s’agit, là encore, d’accéder aux attestations récupérées par API Entreprise, à l’instar du DUME.
La différence notable réside dans le fait que cette technologie doit dorénavant être utilisée par tous, sans distinction de taille, là où auparavant cette possibilité n’était accessible, faute de moyen ou d’obligation, qu’aux pouvoirs adjudicateurs ayant fait le choix d’investir dans un logiciel proposant cette fonctionnalité.
Plus exactement, l’article D113-14 du CRPA est plus insidieux en ce qu’il ne créé pas à proprement parlé une obligation pour l’acheteur mais un droit pour le candidat. L’API Entreprise n’est pas non plus explicitement citée et il faut rechercher sa référence dans le décret 2019-31 ou auprès de la DINSIC… De quoi créer la confusion.
Dans cette même thématique, l’article utilise la notion de « dossier de candidature ». Cette expression du passé entretien un peu plus le doute sur la portée normative de l’article. En effet, si l’on suppose que le candidat peut ne pas transmettre au moment du dépôt du dossier de candidature les attestations qui lui seront demandées plus tard, s’il est attributaire, ce décret n’apporte rien. En revanche, si l’on considère que ce droit s’applique concernant l’ensemble de la candidature – autrefois réuni en un seul dossier communiqué en un seul moment –, alors on comprend mieux l’intention. Pour ma part, il me semble évident que c’est cette seconde explication qui doit être retenu, en ce qu’elle complète le décret 2019-31 et prolonge le dispositif MPS/DUME.
Une révolution relative
En admettant, donc, que la portée de ce nouvel article du CRPA soit réelle, l’efficacité de ce dispositif est néanmoins à mesurer.
Il existe en effet de nombreuses situations identifiées dans lesquelles l’API Entreprise ne permet pas la récupération de l’attestation, ce qui relative beaucoup la simplicité offerte à l’attributaire.
C’est le cas, notamment, des attestations des caisses de recouvrement des cotisations sociales des régimes spéciaux ; des entreprises dont le statut spécifique oblige encore l’utilisation du formulaire 3666-SD par l’administration fiscale ; des entreprises nouvellement crées ou encore à la suite à la signature d’un protocole d’accord définissant les échéances de paiement des cotisations dues.
Dans toutes ces situations, une attestation physique est délivrée, qu’il conviendra ensuite de scanner (dématérialisation oblige !).
D’autre part, toutes les administrations n’ont pas non plus mis en place le même niveau d’API. Si l’attestation de régularité sociale de l’URSSAF ou l’attestation de régularité fiscale sont parfaitement gérées, il n’en est pas de même, par exemple, de l’attestation de régularité sociale délivrée par la MSA ou l’attestation de DOETH délivrée par l’AGEFIPH, figurant pourtant dans la liste des documents à ne plus délivrer par le candidat.
En effet, à la lecture de la documentation technique de l’API Entreprise, seule des métadonnées – l’information – est restituée, qu’il s’agisse de la régularité de l’entreprise (MSA) ou la date de dernière déclaration (AGEFIPH). Or, le pouvoir adjudicateur, s’il ne peut plus exiger ces attestations au candidat, doit toujours les récupérer. A ce titre, l’arrêté fixant les pièces à demander et notamment son article 3 bis, fait mention de « certificat » (3° et 5°), et non de métadonnée.
Plus largement, la « fin de la paperasse » n’est pas non plus pour demain car tous les documents exigés à l’attributaire n’émanent pas d’une administration. C’est le cas de l’attestation d’assurance ou de la liste nominative des salariés étrangers. Si l’on ne peut que saluer cette tentative de réduction, la démarche reste finalement inchangée et la demande de communication perdurera.
D’ailleurs, le législateur semble parfois tiraillé entre son désir de simplification et sa volonté de faire des marchés publics un levier d’incitation pour les entreprises privées. J’en prend pour exemple le « procès-verbal de la réunion du comité social et économique consacrée à l’examen du rapport et du programme » relatif à la « situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise et des actions menées au cours de l’année écoulée dans ces domaines » qui doit être communiqué par toutes les entreprises de plus de 50 salariés qui soumissionnent à un marché public (Article L2312-27 du CT, non rappelé dans le CCP et pourtant introduite par une ordonnance du 22 septembre 2017)
Des interrogations persistantes
Ce décret surprend également par sa forme. En créant l’article 113-14 du CRPA, il semble créer une distance avec la démarche, concomitante, d’unification du corpus législatif de la Commande Publique. A l’instar du procès-verbal du CSE mentionné uniquement dans le Code du Travail, cet article du CRPA ne s’intègre pas au nouveau CCP censé pourtant centraliser et simplifier l’ensemble des normes relatives à la passation et à l’exécution des marchés publics.
Rien n’a été modifié, ni dans le code ni dans les arrêtés (l’entrée en vigueur de ces derniers étant postérieurs de deux mois) pour prendre en considération ces modifications. On aurait pu imaginer, par exemple, que l’article 4 de l’arrêté précité soit étendu aux marchés publics passés par l’ensemble des pouvoirs et entités adjudicateurs et que la liste des attestations en question soit actualisée.
D’autre part, en considérant les limitations énumérées ci-dessus, les nouvelles obligations qu’il fait peser sur les acheteurs publics créées une situation de conflit horizontal de normes. Les prochains jugements relatifs aux pièces justificatives d’attribution seront intéressants en ce que le juge devra trancher sur la portée effective de l’obligation de l’acheteur.
Sur un autre sujet, je m’étonne que le décret n’évoque la récupération automatique des attestations qu’en phase de candidature ( en cas de demande d’aide). Dans le même esprit de simplicité et d’efficacité, il aurait été souhaitable et moins problématique d’étendre ces dispositions à l’obligation de vigilance des donneurs d’ordres publics, tous les mois durant l’exécution du marché.
Enfin, bien que ce ne soit pas formulé de cette manière et comme évoqué plus haut, ce nouveau droit du candidat suppose de la part de l’acheteur l’acquisition d’un logiciel permettant de communiquer via API Entreprise. Si les profils d’acheteur sont évoqués, ces derniers n’offrent pas la souplesse d’organisation aux collectivités dans la passation des marchés auprès des fournisseurs de classe C, sans mise en concurrence ni publicité.
En effet, l’exigence des pièces justificatives à l’attributaire dans le cadre des marchés ne dépend d’aucun seuil et doit être réalisé dès le premier euro. La portée de ce texte ne se limite donc pas aux seuls marchés passés par un profil d’acheteur mais à tous.
Clément Bourasseau – Responsable du développement commercial – Secteur Public