Vers une sous-traitance responsable dans la commande publique ?
Que dit exactement l’étude de l’Observatoire économique de la commande publique sur la sous-traitance dans les marchés publics ?
L’Observatoire économique de la commande publique (OECP), qui est rattaché à la Direction des Affaires Juridiques (DAJ) de Bercy, vient de publier une étude inédite relative à la sous-traitance dans les marchés publics[1].
Cette étude vient combler l’absence de données statistiques et qualitatives sur la sous-traitance dans les marchés publics alors que, d’une part, le cadre juridique existe depuis la loi du 31 décembre 1975 et, d’autre part, que le recours à la sous-traitance semble être une pratique régulière dans les marchés publics.
Ainsi, il ressort de l’étude, qu’en moyenne, pour 100 marchés publics, 14,5 actes de sous-traitance sont déclarés sur la période 2015 à 2018 avec une proportion plus importante pour les marchés de travaux (70,5% en nombre et 72,4% en valeur) et les marchés de services (23,1% en nombre et 20,2% en valeur).
Ces actes de sous-traitance sont établis au bénéfice principalement de PME[2] (75,8% en nombre et 66,5% en valeur) sur la même période.
Même si ces tendances ressortant de l’étude apparaissent évidentes, les données rassemblées ont le mérite de venir préciser cette pratique.
Au delà des données purement statistiques, l’étude montre également que la sous-traitance est majoritairement acceptée par nécessité (67%) plutôt que par commodité (13%) par les entreprises des sous-traitantes interrogées.
Cette situation a pour conséquence de créer une « relation asymétrique » entre les titulaires et les sous-traitants. En effet, pour 41,8% des sous-traitants sondés, les relations sont déséquilibrées et pour 22,4%, elles sont très déséquilibrées avec le titulaire.
Ce déséquilibre contractuel est donc au désavantage des PME qui interviennent comme sous-traitants dans les marchés publics. En outre, il apparaît que certaines mauvaises pratiques demeurent du côté des titulaires (réduction de la marge bénéficiaire, délais de paiement, révision des prix ….) fragilisant la situation des sous-traitants.
Au regard des ces éléments statistiques et qualitatifs, les acheteurs publics se doivent d’être vigilants dans l’application de la règlementation et même proactifs par l’application de bonnes pratiques permettant de tendre vers une sous-traitance plus responsable.
1. L’encadrement du recours à la sous-traitance
Il ressort de l’étude réalisée que 54% des titulaires et 40% des sous-traitants déclarent connaître la réglementation mais que le formalisme associé à cette réglementation semble moins maitrisée par les opérateurs économiques.
a. Une relation triangulaire
Juridiquement, la sous-traitance se définit comme « l’opération par laquelle un opérateur économique confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l’exécution d’une partie des prestations du marché conclu avec l’acheteur » (article 1er de la loi du 31 décembre 1975).
Cette définition a été reprise à l’article L.2193-2 du code de la commande publique et vient préciser les modalités de sous-traitance dans la commande publique (déclaration, acceptation, responsabilité …).
Ainsi, la sous-traitance nécessite l’existence d’un marché public entre une entreprise titulaire (le prestataire) et un acheteur public (le donneur d’ordre).
Pour l’exécution du marché public, le titulaire peut décider de sous-traiter une partie des prestations[3] à un ou plusieurs tiers à tout moment (dès la candidature ou en cours d’exécution). Pour ce faire, un contrat de sous-traitance peut être conclu entre eux afin de régir les relations entre les deux entreprises (prestations à réaliser, prix, délais, pénalités, révision des prix…).
Sur la base de ce contrat de sous-traitance, le titulaire doit présenter le sous-traitant à l’acheteur public qui devra l’accepter et agréer ses conditions de paiement en application de l’article L2193-4 du code de la commande publique.
En cas d’acception formalisée par la signature d’un formulaire dit « DC 4 » par l’acheteur public, le sous-traitant peut alors réaliser certaines prestations du marché dans les limites techniques et financières fixées par le DC 4.
En cas de refus du sous-traitant, l’acheteur public doit justifier son refus et le sous-traitant ne pourra exécuter les prestations pour le compte du titulaire dans le cadre de ce marché.
Cette relation triangulaire se résume donc par une relation contractuelle entre le titulaire et le sous-traitant et l’absence de relation contractuelle entre le sous-traitant et l’acheteur public.
Quand bien même l’acheteur n’a pas de lien contractuel avec le sous-traitant, il reste responsable de la vérification de la conformité de ce tiers au marché public
b. La vérification préalable de la conformité des tiers
Dans le cadre du processus d’acceptation et d’agrément des conditions de paiement du sous-traitant, l’acheteur public doit apprécier que le sous-traitant a, d’une part, les capacités professionnelles et techniques et, d’autre part, les capacités économiques et financières pour réaliser les prestations que le titulaire souhaite de sous-traiter avant de l’accepter.
De plus, au même titre que la vérification avant l’attribution d’un marché public, l’acheteur public doit également vérifier la conformité de la situation sociale et fiscale du sous-traitant en vérifiant un certain nombre de documents :
– Une déclaration sur l’honneur que le sous-traitant ne se trouve pas dans l’un des cas d’exclusion prévu aux articles L.2141-1 à -5 du code de la commande publique [4]
– Un extrait K-bis [5]
– L’attestation de vigilance [6]
– L’attestation fiscale [7]
– Pour les entreprises de plus de 20 salariés : attestation délivrée par l’Association du Fonds de développement pour l’insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH) [8]
– Le cas échéant, la copie du jugement de redressement judiciaire [9]
– La copie de la déclaration de détachement des salariés étrangers ou une attestation sur l’honneur ne pas recourir à des salariés détachés [10]
– La liste nominative des salariés étrangers soumis à autorisation de travail prévue à l’article L.5221-2 du code du travail ou une attestation sur l’honneur de ne pas employer des salariés étrangers [11]
En pratique, il ressort de l’étude de la l’OECP que « les pratiques des acheteurs sont hétérogènes » s’agissant de la vérification de la régularité sociale et fiscale des sous-traitants intervenant dans le cadre d’une marché public.
Cette situation peut s’expliquer par une importante utilisation du formulaire DC 4 par les acheteurs publics, formulaire DC 4 qui ne liste pas précisément les documents à exiger au titulaire pour vérifier la régularité de son sous-traitant.
Au regard de ce constat, l’étude de l’OECP propose de réfléchir à l’intégration d’une telle liste qui permettrait d’harmoniser les pratiques entre acheteurs publics et de faciliter la vie des entreprises (titulaires et sous-traitants).
Il convient de noter que cette liste de documents s’applique pour les opérateurs économiques implantés en France mais que cette vérification de la régularité sociale et fiscale s’impose également pour les opérateurs économiques situés hors de France qui serait sous-traitant d’un marché public en France.
La systématisation de ces opérations de vérification n’a pas pour objet d’interdire le recours à la sous-traitance auprès de sociétés étrangères par le titulaire[12] dans le cadre de marchés publics français. Elle a pour finalité d’assurer le suivi de la conformité des tiers intervenant dans un marché public.
Outre la vérification lors de l’acceptation du sous-traitant, l’acheteur public se doit également de vérifier la conformité sociale et fiscale du sous-traitant tous les six mois. Or, il ressort de l’étude de l’OECP que « les acheteurs reconnaissent qu’il est difficile de contrôler la situation fiscale et sociale des sous-traitants au fil de l’eau par manque de moyen ».
Au delà du respect de la réglementation relative à la sous-traitance, l’usage de bonnes pratiques par les acheteurs publics doit favoriser une sous-traitance plus responsable dans la commande publique.
2. L’usage des bonnes pratiques en matière de sous-traitance
L’évolution des pratiques en matière de sous-traitance doit conduire les acheteurs publics à être plus vigilants et prévoir des sanctions graduées en cas de non déclaration d’un sous-traitant, à demander la communication du contrat de sous-traitance ou encore à interdire la sous-traitance de certaines tâches dans le marché.
a. La possibilité d’interdire la sous-traitance des « tâches essentielles »
L’article L2193-3 du code de la commande publique précise que « le titulaire d’un marché peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l’exécution d’une partie des prestations de son marché, dans les conditions fixées par le présent chapitre » mais dispose également que « l’acheteur peut exiger que certaines tâches essentielles du marché soient effectuées directement par le titulaire ».
Cette disposition, qui date de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, n’était pas prévue dans la loi de 1975 et vient limiter la liberté du titulaire de sous-traiter des prestations du marché.
Il ressort de l’étude de l’étude de l’OECP que cette possibilité a déjà utilisé par 20% des acheteurs interrogés. En pratique, l’acheteur public impose dans le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) que certaines tâches essentielles ne soient pas sous-traitées à un tiers.
La notion de « tâches essentielles » n’est pas définie par le code de la commande publique ; il s’agit donc d’une notion qui s’apprécie au cas par cas en fonction, notamment, de l’objet du marché et que l’acheteur public devra être en capacité de justifier en cas de contentieux.
Cette possibilité est particulière intéressante pour un acheteur public car elle permet d’imposer au titulaire de marché la réalisation en « interne » des prestations principales du marché et ainsi limiter le recours à la sous-traitance « économique » qui vise à réduire le coût des prestations facturées à l’acheteur en les sous-traitant à un tiers.
En outre, une telle clause peut décourager certaines entreprises, n’ayant pas la compétence en interne, de répondre à la procédure de marchés publics et, a contrario, inciter d’autres entreprises à répondre en direct (seule ou en groupement) au lieu d’être un « simple » sous-traitant d’une autre entreprise.
A coté de l’intégration d’une telle clause dans le cahier des clauses administratives, il est également possible de prévoir des sanctions graduées en cas de non déclaration d’un sous-traitant.
b. La possibilité de prévoir des sanctions graduées en cas de non déclaration d’un sous-traitant
L’exécution de prestations dans le cadre d’un marché par un sous-traitant qui n’aurait pas été accepté et dont les conditions de paiement n’auraient pas été agréé par l’acheteur public constitue de la sous-traitance occulte constitutive d’une infraction pénale (article L8271-1-1 du code du travail).
Cette situation n’est pas exceptionnelle car il résulte de l’étude de l’OECP que 71% des acheteurs publics ont été confronté au moins une fois à une situation de sous-traitance non déclarée. En pratique, face à une telle situation, 86,1% des acheteurs ont demandé une régularisation de la situation au titulaire du marché mais il est possible de sanctionner une telle situation.
En effet, l’acheteur public peut prévoir des sanctions administratives graduées dans le marché public. Avant de résilier le marché pour faute du titulaire comme prévu dans les cahiers des clauses administratives générales (Par exemple : article 32.1 du CCAG FCS), il est possible de prévoir une sanction intermédiaire consistant à appliquer des pénalités forfaitaires pour jour de non-déclaration d’un sous-traitant dès que l’acheteur public en a eu connaissance.
Le décompte de cette pénalité pourrait être suspendue à compter de la réception d’un DC 4 complété et accompagné de tous les documents nécessaires à l’analyse du dossier du sous-traitant. En cas de dossier incomplet, le décompte pourrait reprendre jusqu’à réception d’un dossier complet par l’acheteur public.
L’application de ce type de pénalité a pour objectif de faire comprendre aux titulaires que la déclaration de sous-traitance n’est pas une option et que tout oubli sera sanctionné financièrement. A ce titre, l’étude de l’OECP précise qu’« une plus grande sévérité des acheteurs en la matière pourrait certainement contribuer à une diminution du phénomène de non déclaration (a minima pour les contrats à fort enjeu opérationnel, financier …) ».
Bien évidement, si un nouveau cas devait être détecté dans le cadre de l’exécution du marché, une sanction telle que la résiliation du marché pour faute pourrait être envisagée en application des CCAG.
Enfin, l’ultime sanction consiste à prévoir une exclusion de l’entreprise d’une prochaine consultation en application de l’article L2141-7 du code de la commande publique du fait de la résiliation pour faute du marché en raison de la non déclaration de sous-traitants.
Au delà de prévoir des sanctions pour non déclaration de sous-traitance, il est également possible de demander la communication du contrat de sous-traitance lors de l’étude du dossier du DC4.
c. La possibilité de demander la communication du contrat de sous-traitance
L’article L.2193-7 du code de la commande dispose que « le soumissionnaire ou le titulaire du marché est tenu de communiquer le contrat de sous-traitance à l’acheteur lorsque celui-ci en fait la demande ».
Or, il ressort de l’étude que seul 12% des acheteurs publics ont déjà réclamé le contrat de sous-traitance au titulaire du marché car ils « estiment que cela peut constituer une ingérence dans les relations contractuelles privées ».
Ainsi, sans que cette demande soit systématique, l’acheteur peut demander la communication du contrat de sous-traitance au titulaire dans certains cas particuliers et/ou dans le cadre de marchés publics importants ou sensibles. En cas de refus du titulaire, le code de la commande publique ne prévoit aucune sanction. Toutefois, des sanctions peuvent être prévue contractuellement sous forme, par exemple, de pénalités forfaitaires par jour afin d’obliger le titulaire à vous transmettre les éléments.
En pratique, la communication du contrat de sous-traitance doit, notamment, permettre d’apprécier l’équilibre économique entre le titulaire et le sous-traitant, d’expliquer les prix proposés par le titulaire (en cas de sous-traitance économique par exemple) ou encore d’apprécier le partage des responsabilités entre les parties (assurances, garantie).
Au delà de ces aspects opérationnels, cette possibilité de demander communication du contrat de sous-traitance obligera la formalisation par écrit des droits et obligations de chaque partie dans le cadre du marché à exécuter.
Une telle demande de communication peut s’inscrire plus globalement dans l’évaluation des tiers au sens de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique[13] qui oblige les opérateurs économiques à être plus transparent dans le cadre d’une contractualisation avec un donneur d’ordre (privé ou public).
Conclusion :
Le développement du modèle économique des plateformes, qui consiste faire exécuter par un intermédiaire (ex : un micro-entrepreneur) des prestations commandées par un client via une plateforme numérique, interroge au regard de la loi de 1975 et du code de la commande publique.
Cette « ubérisation [14]» de l’économie tend à se développer dans le secteur public. En effet, certaines plateformes numériques peuvent répondre à certains besoins des acheteurs publics et deviendront titulaires de marchés publics.
Or, en application du code de la commande publique (mais aussi de la loi de 1975), dans le cadre d’un marché de prestations de véhicules de transport avec chauffeur (VTC) par exemple, tous les chauffeurs doivent être déclarés comme sous-traitants car ils sont susceptibles d’exécuter des prestations dans le cadre d’un marché public (ex. une course pour un agent ou un salarié) sans avoir la possibilité de proposer / sélectionner uniquement les sous-traitants déclarés.
Force est de constater qu’il semble impossible de déclarer tous les sous-traitants (au regard du volume) et de tenir à jour la liste à jour (au regard du turn-over) dans l’exemple précité. Nous mesurerons ici les limites des dispositions de la loi de 1975 lorsqu’elles sont confrontées aux modèles de la nouvelle économie. A ce titre, il ressort de l’étude que 69% des sous-traitants et 55% des titulaires interrogés considèrent que les dispositions issues de la loi de 1975 ne sont pas assez protectrices et/ou adaptées aux problématiques actuelles.
Avant une éventuelle (mais peu probable) modification de la loi de 1975, ces nouveaux enjeux doivent nécessiter une évolution des pratiques des acheteurs publics afin de mieux protéger les entrepreneurs intervenant comme sous-traitant et tendre vers une sous-traitance plus responsable.
[1] https://www.economie.gouv.fr/daj/loecp-publie-une-etude-sur-la-sous-traitance-dans-les-marches-publics
[2] https://www.e-attestations.com/index.php/component/content/article/41-conformite-commande-publique/52-solution-reglementation-pme-commande-publique?Itemid=274
[3] Article L2193-2 du code de la commande publique
[4] Article R2193-1 du code de la commande publique
[5] Article D8222-5 du code du travail
[6] Article R2193-1 du CPP qui renvoie à l’arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l’attribution des contrats de la commande publique
[7] Article R2193-1 du CPP qui renvoie à l’arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l’attribution des contrats de la commande publique
[8] Article R2193-1 du CPP qui renvoie à l’arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des impôts, taxes, contributions ou cotisations sociales donnant lieu à la délivrance de certificats pour l’attribution des contrats de la commande publique
[9] Article L2141-3 du CCP
[10] Article L.1262-4-1 Code du Travail
[11] Article D8254-2 du code du travail
[12] Comment lutter contre la sous-traitance à des entreprises étrangères : https://www.weka.fr/actualite/commande-publique/article/comment-lutter-contre-la-sous-traitance-a-des-entreprises-etrangeres-108813/
[13] Loi dite Sapin 2
[14] Néologisme popularisé par Maurice Lévy, président du directoire de Publicis